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Chapitre II - Pédagogie : la rencontre

48 - Certains tuteurs sont-ils meilleurs que d’autres ?

A la fin du programme de trois mois, les « nouveaux » étaient capables d’animer comme nous l’étions nous-mêmes, et ils obtinrent le même succès.
Cela veut-il dire que nous étions tous « bons tuteurs » dans une mesure égale ? Je n’irai pas jusque-là.

S’il est possible, c’est mon expérience, de faire, avec la formation appropriée, de quiconque a du goût pour la formation, un « bon » tuteur, certains ont un talent particulier qui donne aux enseignements qu’il anime un je ne sais quoi supplémentaire. Ce « supplément » n’est peut-être pas essentiel, mais il fait quand même une différence.
Tom possédait ce talent. Mon but n’est pas de le proposer comme modèle, mais je pense qu’en disant ce qu’il faisait et comment, j’arriverai peut-être à mieux faire sentir l’esprit même de cette étrange et si efficace « manière d’être » pédagogique que nous pratiquions.
Ce qui était remarquable chez lui, c’était son naturel. Il comprit très rapidement que son absence totale d’expérience dans le domaine qu’il devait enseigner pouvait puissamment l’aider :

« Je n’ai, disait-il en se présentant aux apprenants, que quelques semaines d’avance sur vous dans la matière que nous allons étudier. Nous allons donc l’apprendre pratiquement ensemble. J’exagère car depuis que je suis ici, on m’a expliqué quelques trucs, et je crois que j’arriverai à vous les répéter. Si je ne sais pas répondre à certaines questions, ne vous inquiétez pas. J’ai derrière moi tout un service très compétent. Nous les interrogerons. »
Il ouvrait le séminaire :
« Mes amis ! Commençons ! (Attendez que je rassemble mes idées !) Voilà ! Imaginez la situation suivante… »
Il maniait ses flèches, se trompant parfois en posant l’une d’elle à l’envers de manière à pouvoir demander au groupe :
« Ais-je bien représenté la situation que j’ai dite ?
« Non ! »
« ça alors ! »
« Ah, mais bien sûr ! Vous avez raison. »
Plus tard :
« Maintenant, nous allons aborder le calcul. C’est embêtant pour moi, car les calculs ne sont pas mon fort. »
« Essayons… Je vais noter au tableau les variables. »
« Mary, aidez-moi ! »
« Ce n’est pas ça ! Il en manque plusieurs ? »
« Il vaudrait mieux que ce soit vous qui écriviez tout ça au tableau ! »
« Oh my ! Je crois que vous avez raison ! »
« Oui, mais moi, ce que je me demande, c’est pourquoi il faut faire cette opération ? » 
« Alors c’est pour ça ! »
« Comment dites-vous ? »
« Ce que vous expliquez est tout à fait juste ! »
« Attendez ! Je crois que Judith n’a pas compris ce que vous avez dit, et ça m’aidera, moi aussi, que vous répétiez ».
« Comment ! Judith ! Vous avez compris ? C’est vous, donc, qui arriverez à m’expliquer cette drôle de chose ! »
« ça y est, j’y suis ! Et je me souviens maintenant, c’est tout à fait ça. »
« Mais c’est très clair ce que vous avez dit là ! Beaucoup plus clair que l’explication que nous avons l’habitude de donner. Merci. Je vais d’ailleurs en parler à mes collègues ! »
« Vous vous demandez pourquoi nous avons fait ce calcul ? Je me le demande moi aussi ! Je crois qu’il vaut mieux reprendre ! Mais je vois Paul qui sourit ! »
« Paul ? »

Et c’est ainsi que de questions simples en affirmations simples, il arrivait à déclencher cette espèce de mécanisme dont j’ai déjà parlé, qui fait qu’un séminaire marche tout seul, grâce à la participation de tous.

Tom devint si bon, qu’il arrivait à ce résultat étonnant (et désirable) où certains apprenants prenaient pratiquement sa place, encourageant les autres et posant les questions qui permettaient à tous d’avancer.

A cause de sa simplicité, qui était réelle (car si tout était réfléchi chez lui, rien n’était simulé), les plus modestes, les plus silencieux, se sentaient avec lui une sorte d’affinité, de solidarité presque. Et ils en oubliaient leur timidité.
Les plus forts, les plus actifs, qui devinaient son intelligence, rivalisaient pour le satisfaire, l’aider, et lui montrer ainsi à quel point ils l’appréciaient. Il ne leur marchandait pas son admiration (qui n’était, elle non plus, pas simulée), satisfaisant du même coup leur très légitime amour-propre.
Bref : En aimant ses élèves, il savait se faire aimer, au plus grand profit du processus d’apprentissage. Et il ne « perdait » jamais personne.

Ses séminaires ne différaient pas vraiment des nôtres, mais je leur reconnaissais une supériorité. Il savait y insuffler un charme qui n’était peut-être pas absent des nôtres, mais qui, chez lui, était particulièrement palpable.

© Nicolas WAPLER- Septembre 2007