socrate
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Conclusion

79 - Les obstacles à surmonter

Le poids du modèle classique :
Nous avons déjà eu l’occasion de le dire. La tradition a creusé dans nos esprits de véritables ornières dont nous avons du mal à nous dégager et qui nous incitent à ne pas pouvoir concevoir autre chose que le modèle du professeur qui parle.
Nous avons tendance aussi à sanctifier l’effort pénible et solitaire, à attribuer à la difficulté une sorte de valeur salvifique, à penser que la discipline consiste à suivre « sans discuter » des instructions dans une parfaite et respectueuse immobilité. Nous pensons que la véritable autorité, celle dont le professeur est investi, n’existe que si son corollaire est la soumission et, sauf permission contraire, l’écoute silencieuse.
Ce modèle, nous l’avons tous, peu ou prou, dans l’esprit, que nous soyons éducateurs, parents d’élèves ou employeurs. Il est présent, peut-être plus lourdement encore, dans l’esprit des apprenants eux-mêmes.
Imaginer autre chose est pour tous difficile, dérangeant, inquiétant.

Le poids du préjugé :

L’idée est passablement contradictoire pour nos sociétés qui ont établi l’égalité au rang de valeur suprême. Elle est également étonnante, car elle repose sur la confusion de deux problèmes distincts ; celui de l’accès à la connaissance, et celui de l’accès à un métier. Elle consiste à penser que, puisqu’il n’y a pas de place aux commandes pour chacun, un tri est nécessaire, et cela dès l’école. De la même manière que l’on comprend que tout le monde ne peut pas être directeur, on accepte aussi l’idée qu’il est normal, voire souhaitable, que seuls quelques-uns accèdent à la culture et à une bonne compréhension du monde qui nous entoure : « Vous imaginez ça ! Tout le monde ingénieur ! Tout le monde philosophe ! Qui acceptera de devenir tourneur, balayeur, vendeur, employé ou maçon ? » Et l’on se fabrique une bonne conscience avec le dogme de « l’égalité des chances » qui s’incarne dans les idées de concours, de sélection, d’orientation ; ces mécanismes sûrement utiles dans certains contextes d’accès à des postes, mais qui, trop souvent, sont autant d’alibis qui nous servent à trouver tolérable que le droit de comprendre et d’apprendre ne soit pas concrètement accessible à tous.
Puissant et nocif préjugé qui semble conforter la thèse de ceux qui pensent que la plupart des systèmes éducatifs sont, en fait, le reflet de la société qui les porte, et que leur mission première consiste à en défendre et pérenniser les structures, et cela, avant même celle qui consiste à assurer la transmission des connaissances.

L’obstacle social :
Force est de constater que si nos systèmes d’enseignement sont critiqués, et parfois vigoureusement, les principes pédagogiques sur lesquels ils s’appuient ne sont pratiquement jamais contestés en profondeur par le public le plus directement concerné, les apprenants et leurs proches. Ceux-ci sont, en effet, si profondément impliqués dans les parcours qui leur sont proposés, il est si important pour eux d’en franchir les étapes les unes après les autres qu’ils ne peuvent pas se payer le luxe d’en discuter les modalités. Lorsque l’on est engagé dans un jeu où il est vital de vaincre, on n’en décrie pas les règles. On joue le jeu. Il n’existe pas encore,- en France en tout cas,- de la part des apprenants et de leurs proches, de véritable « demande » pour que la pédagogie de nos systèmes d’enseignement soit, comme il serait nécessaire, réformée en profondeur.
Depuis près de trois ans que ce site existe, parmi les dizaines de milliers d’internautes qui le consultent, 95% d’entre eux sont des enseignants, les 5% restant, des parents d’élèves : Pratiquement, aucun étudiant, aucun stagiaire.
Si cette statistique révèle que le désir de changement existe chez les enseignants, et c’est tout à leur honneur, elle montre aussi que les destinataires des enseignements, les apprenants et leurs proches, n’ont pas ce désir. Or une réforme en profondeur des pratiques pédagogiques suppose une participation de la « base ». C’est loin d’être le cas.
Point n’est besoin d’avoir des notions de marketing pour comprendre qu’un produit qui est peu demandé n’est ni fabriqué, ni proposé aux consommateurs qu’il concerne.

L’obstacle politique :
Puissant lui aussi. Soulignons un seul de ses aspects : L’aspect financier qui est si mal compris.
Un projet d’éducation vaste et efficace, au niveau de la société tout entière, coûterait, en ressources, des sommes considérables : Formation et recrutement massif d’éducateurs - locaux modernes - matériels informatiques et j’en passe. Ces dépenses, dont on néglige le fait qu’elles seraient, de toutes, les plus productives en termes de « retour sur investissement », entreraient en concurrence avec d’autres dépenses dont on pense qu’elles sont tout aussi importantes, sinon plus.
Choix de société, donc. Il s’agit bien de cela, et cette question est évidemment politique.

© Nicolas WAPLER- Septembre 2007