socrate
A propos de l’auteur | Droits d’utilisation
Chapitre II - Pédagogie : la rencontre

40 - Et les gens « bêtes » ?

Nous en étions, un soir, à notre séance de « brain storming ». Le tuteur de cette première journée du séminaire avait été un de nos collègues anglais. Un garçon jovial et sympathique. Selon notre habitude nous le « critiquions ». Mais, rôdé comme il était, nous devions nous creuser la cervelle.
Un observateur : Je pense que tu ne t’es pas assez occupé de Peter.
Le tuteur : Mais je n’ai fait que ça ! Il a beaucoup parlé, beaucoup participé.
Un autre observateur : Oui, mais cette histoire de cours de change, il ne l’a pas comprise ! Le reste non plus d’ailleurs. Je crois qu’il est complètement largué.
Le tuteur : Je sais. Je lui ai pourtant répété vingt fois les mêmes choses. Plusieurs apprenants m’ont aidé pour essayer de le tirer d’affaire. Mais rien !
Le premier observateur : Tu aurais pu peut-être…
Le tuteur : (s’échauffant) J’aurais bien voulu vous y voir !
Fred : (qui jusque-là nous regardait en silence) Ton diagnostic ?
Le tuteur : (s’échauffant encore un peu plus) Hé bien je vais vous le dire ! Ce Peter… Ce type… C’est pas compliqué… Il est tout simplement… bête.

L’explosion d’une bombe nous aurait moins étourdis que cette affirmation. Fred rajusta ses lunettes et se plongea dans cet air d’intense réflexion que nous lui connaissions. Quant à nous, nous étions consternés. S’il était vrai que quelqu’un de « bête » ne pouvait pas suivre notre séminaire, qu’en était-il de notre objectif de 100% ? Et que valait notre méthode ? Et des gens bêtes ; il y en avait peut-être beaucoup ! Et que dire de nous-mêmes ? N’étions-nous pas bêtes, nous aussi, qui avions parfois tant de mal à comprendre ceci ou cela ?

Fred : Bête ? Un cas pathologique ? Vraiment ! Il m’a semblé pourtant…
Le tuteur : Mais il suffit de le regarder ! Ses yeux… son sourire… ses grandes oreilles, et ses remarques qui n’ont jamais rien à voir avec ce dont on parle !
Fred : Et c’est pour ça que tu lui as répété toujours les mêmes choses, de plus en plus fort, louder and louder ! Pour que ça entre ! Écoute ! Demain il faudra que tu essayes de trouver ce qui accroche.

Le lendemain, notre tuteur découvrit en effet le pot aux roses. Peter était convaincu que les cours de la livre sterling étaient fixés par le gouverneur de la Banque d’Angleterre ; plus hauts quand il avait lu une bonne nouvelle dans le journal, plus bas quand elle était mauvaise. Comme les changes dépendaient entièrement du libre jeu des mécanismes du marché, rien de ce qui se disait dans notre séminaire ne pouvait avoir pour lui le moindre sens. Le visage stupéfait, il défendit farouchement son erreur, avant de se rendre. Il suivit ensuite sans encombre le reste du séminaire. Mais c’est vrai, il avait l’esprit d’escalier et ses remarques étaient souvent… disons… étonnantes.

 

© Nicolas WAPLER- Septembre 2007